Etabli de travail

« Oui bon ben … voilà, ce n’est qu’un établi ! Rien de bien terrible. » Voilà ce que pensent les gens quand on leur parle de ce meuble. Et pourtant … Aujourd’hui je vais vous parler, non pas d’histoire, mais d’amour.

Souvent grossier et robuste, dédié au pratico-pratique, et souvent en piteux état car, justement, on ne lui épargne rien. Un vrai souffre-douleur. Pourtant au-delà de sa création réservée aux manuels, il a plein de qualités. D’abord il est conçu pour durer. Le genre de meuble que tu gardes toute ta vie. Tu dois avoir une confiance aveugle en lui, pour que tu puisses taper dessus sans qu’il bronche, pour que tu puisses serrer des pièces sans honte, pour que tu puisses jeter un outil négligemment dessus, pour que tu puisses entasser des trucs « on-ne-sait-jamais », bref … un vrai compagnon de voyage … sans bouger. Il en nait un lien presque affectif.

Le nombre d’heures passées ensemble reste incalculable, et le nombre de jurons stratosphérique. Toujours fidèle au poste, même après une dispute dont il n’était pas responsable (c’est cette saloperie de pièce qui a cassé …). Chaque bricoleur a ses préférences en termes d’outils, méthodes, matériaux. Mais dès que vous leur demandez de parler de leur établi, il y a une petite étincelle dans leur regard, des souvenirs, des émotions, un léger sourire, une main qui caresse le plateau. Une nostalgie fait place. Et si le bricoleur a dû se séparer de son établi, il en parlera toujours comme d’un « truc » costaud, qui avait de la gueule, qui en a vu de toutes les couleurs, qui sera sa fierté. Essayez donc d’avoir la même relation avec une chaise ou un guéridon, et on en reparle.

Un établi, c’est un paradoxe. D’abord il nait d’un besoin réel, pas d’une envie de beauté et ou de décoration. Si on tombe sous le charme d’un objet décoratif aux lignes tendues qui frappent l’imaginaire, comme une sculpture, on n’a que faire de son utilité pratique. L’objet en est dépourvu. Avec le temps, cet objet sera placé à un endroit et il deviendra invisible au quotidien. Le propriétaire finira par en parler comme d’une « découverte » au détour d’un petit village de campagne au fin fond d’Andalousie. L’émotion aura disparue. A l’inverse l’établi ne sera pas aimé pour son physique ingrat, accepté par nécessite, et presque négligé. Mais avec le temps, une symbiose naitra entre l’établi et son utilisateur. Visible tous les jours, présent tous les jours, aidant tous les jours. Sa présence ne pourra plus être ignorée et deviendra essentielle. Un partenariat pour le meilleur et pour le pire, un témoin du temps, une preuve des efforts, une évidence absolue. S’il n’est pas aimé pour son physique, l’établi sera adoré pour ses qualités.

Quelques entreprises aujourd’hui, sont spécialisées dans la récupération des anciens établis en bois pour leur donner une seconde vie dans des intérieurs plus cossus.
Leurs rides, coups, blessures leurs donnent un charme particulier, véritables témoins d’un savoir-faire, d’une histoire d’amour. Ils deviennent buffets, commodes, ou console, et s’exposent sans gêne. En bref, une retraite bien méritée ou leur vécu devient la beauté qu’on ne leur a jamais donné à leur naissance. Un juste retour des choses.

La prochaine fois que vous verrez un établi, vous ne le négligerez plus. Vous imaginerez des histoires d’artisans, des partages de joies et de déceptions, un objet de valeur sans en avoir la valeur. Pensez-y.