Bout de canapé

Lorsque George-Arthur vit pour la première fois Claudette-Henriette, il en perdit tous ses moyens. Subjugué par la beauté fragile de cette jeune femme, sa grâce légère et son petit accent du terroir, tout son corps se raidit et son cerveau se mettait en pause comme un disque rayé qui répète inlassablement la même chose. Si nous avions pu écouter son cerveau, nous aurions pu entendre : “whoaww… whoaww … whoaww …”
Heureusement, l’intervention de son ami de longue date, Patrick-Anatole, a permis à George-Arthur de reprendre ses esprits. Avec une virile tape sur l’épaule, et un sourire aussi grand que ses oreilles lui permirent, il se moqua gentiment de lui.
“Alors, mon ami Gustave-José, vous semblez en perdition.”
“Je suis George-Arthur.”
“Qu’importe votre prénom Camille-Louis, je crois deviner que cette pouliche ne vous laisse point indifférent !”
“On ne cause point d’une femme de cette manière fort grivoise.”
“Qu’importe Herbert-Victor ! Venez, je vous présente à Paulette-Gisèle.”

Fort heureusement, George-Arthur connaissait l’instabilité chronique de son ami en matière de prénom, et profita de cette occasion pour faire la cour à Claudette-Henriette. Celle-ci enthousiasmée par le ténébreux George-Arthur, fini par accepter de venir prendre le thé la semaine suivante.

Les tourtereaux s’assirent côte à côte sur le bord du canapé, comme il était d’usage lorsque deux êtres bien éduqués se font la cour.
Au bout de quelques minutes, Claudette-Henriette lâcha:
“George … prenez moi … avec force et vigueur … pénétrez … mon intimité … et je serai … toute à vous.”
Surpris, George-Arthur mit quelques secondes à réaliser que c’était la chance de sa vie, et se jeta sur Claudette-Henriette pour l’étreindre.
Celle-ci poussa un hurlement qui stoppa net la fougue du jeune homme.
“Mais enfin George ! Vous êtes devenu fou !” cria Claudette-Henriette.
“Mais vous avez dit que …”. George répéta la phrase de la jeune femme.
“Mais pas du tout ! Je n’ai rien dit de tel.” hurla Claudette.
“J’ai dit : George, apprenez-moi la poésie, celle qui exprime par la force et vigueur des mots, le romantisme absolu. Car je ne puis dans mon intimité, accéder à de tels ouvrages, et j’en serais alors toute reconnaissante envers vous.”
Et elle rajouta : “Visiblement, il vous en manque des bouts !”
Eberlué, choqué, George-Arthur ne sut que dire lorsque Claudette-Henriette tourna les talons et quitta les lieux.
C’est ainsi qu’est né le “bout de canapé.